JEAN-PAUL II : HOMME AUX MULTIPLES FACETTES
Jean-Paul II laisse un héritage dont la véritable portée se mesurera dans les années à venir. Sa conception de lÉglise et de lunité des chrétiens tout autant que celle du monde et de sa libération alimenteront pour encore longtemps historiens et théologiens, Sa forte personnalité, ses convictions profondes et son sens de la communication en ont vite fait un personnage central à la croisée des deux siècles. Associé à la chute de lUnion soviétique et à la fin des régimes communistes dans les pays de lEst tout autant quà la mise au pas des évêques et des prêtres engagés dans laction inspirée par la théologie de libération en Amérique latine, ses prises de position politique ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations. Certains nhésitent pas à parler de deux poids deux mesures selon que la lutte porte sur lélimination du communisme dans les pays de lest ou selon quelle porte sur la mise au pas des théologiens de la théologie de la libération et des mouvements quelle inspire particulièrement en Amérique latine.
Ses interventions en Pologne ont été autant dappuis au regroupement des classes ouvrières et à laction des chrétiens pour se défaire du régime communiste. Ses nombreux voyages dans sa terre natale et ses appuis sans équivoques à Lech Walesa et Solidarnosc en témoignent amplement. Nous y voyons un Jean-Paul II engagé et mobilisateur, aucunement préoccupé des frontières entre laction ecclésiale et laction politique. Le ton et les références ne sont pas à leffet de travailler dabord et avant tout à la conversion des curs et au respect de lordre établi mais bel et bien de faire valoir limportance des libertés fondamentales et lobligation de lutter pour les faire respecter. Il na pas manqué dinitiatives pour soutenir ce mouvement et tous ceux qui sy engageaient. Nous connaissons les résultats de cette action menée avec courage et détermination. Elle a débordé les frontières de la Pologne pour sétendre à tous les pays sous lemprise de lUnion Soviétique. La chute du mur de Berlin en est un symbole historique.
Cette lutte anti-communiste de Jean-Paul II a vite rejoint les préoccupations anti-communistes des administrations étasuniennes des années 1980 en Amérique latine, particulièrement celle de Reagan. Il a vite été perçu comme un allié potentiel. Sa visite au Nicaragua nous rappelle cette réprobation, à sa descente davion, faite au père Ernesto Cardenal , alors ministre de la Culture dans le gouvernement sandiniste. Ce dernier, ancien moine, prêtre et poète bien connu participe avec trois autres prêtres au gouvernement sandiniste. Après avoir renversé le dictateur Somoza, allié de ladministration étasunienne, ce jeune gouvernement sattaque à des réformes visant un changement profond de nature à enrayer la pauvreté et à développer une plus grande justice sociale. Les « Contras », bras armé de Washington ne lui laisse pas grand répit.
Cest donc avec beaucoup despoir que le peuple nicaraguayen attendait la visite de ce pape qui navait pas craint de sallier à Solidarnosc pour combattre les puissants des pays de lEst. Mais plutôt que de condamner avec force et sans ambiguïté laction terroriste des « Contras » et à faire appel à la nécessité dune plus grande justice social, il sévertue à faire ressortir les dangers de systèmes politiques qui privent le peuple de sa liberté et le soumettent à des programmes athées ou à un matérialisme pragmatique qui lui enlève sa richesse transcendantale. Il assimile ainsi le gouvernement sandiniste, intégré par quatre prêtres et plusieurs croyants, à un gouvernement porteur du germe de lautoritarisme et de lathéisme. Cest ainsi que Jean-Paul II ouvre le dialogue avec ce jeune gouvernement désireux de plus grande justice sociale dans une partie du monde où la pauvreté et lexploitation sont les plus criantes. Depuis lors nous avons eu accès à tous les dessous de ce qui a été défini comme le scandale de lIrangate.
Au Salvador, le sort de, Mgr Oscar Romero assassiné par les militaires alors quil célébrait la messe na guère soulevé de façon percutante les réactions du Vatican. Cet assassinat nétait pas un acte gratuit mais bel et bien un acte prémédité contre une figure qui dérangeait dans ce petit pays dominé par loligarchie et contrôlé par les Etats-Unis. Dailleurs, peu de temps avant, il sétait présenté à Rome avec un rapport étoffé sur les assassinats et les conditions de vie dans le pays. Toujours est-il que Jean-Paul II et le Vatican se sont fait alors bien discrets sur ce rapport et lhéroïcité de cet Évêque. On nen a pas fait un martyr et encore moins un candidat à la sainteté.
Dix années plus tard, le 16 novembre 1989, ce sera au tour du recteur de luniversité des jésuites (UCA) ainsi que six de ses collègues et deux employés laïcs dêtre assassinés par une vingtaine de militaires commandités par le gouvernement salvadorien et Washington. En dautres circonstances et dans dautres lieux ces morts seraient vite devenus des martyrs et des saints. À Rome, le saint-père a plutôt exprimé beaucoup de peine et « assuré de sa prière ces âmes dont il souhaite que leur sacrifice nait pas été en vain, mais quil soit le germe de lamour fraternel et de paix pour ce pays martyrisé dEl Salvador. » Nous sommes loin de la condamnation des assassins et du régime de terreur qui les soutient.
Qui ne se souvient de sa visite à Santiago du Chili, alors sous le régime dictatorial du général Pinochet. Le monde sattendait à une condamnation sans équivoque des tortures, des assassinats et de la privation des libertés fondamentales. Jean-Paul II sest plutôt fait réconciliateur. Il sest présenté en compagnie de Pinochet lui faisant lhonneur de sa bénédiction. Si ce neût été du courage dune jeune femme pour dénoncer devant le Saint Père et le monde entier, lors de la messe papale, les assassinats, les tortures, les emprisonnements arbitraires et les manquements aux droits humains, ces sujets nauraient pas percé le petit écran de millions de foyers dans le monde. Là aussi des chrétiens et des prêtres ont été assassinés pour leur foi en lÉvangile des pauvres. Ne mentionnons que ce missionnaire français, le père Dubois, tué dune balle à la tête en provenance dun militaire alors quil lisait sa bible dans sa petite résidence située dans un bidonville de Santiago.
Cette attitude de Jean-Paul II, plutôt contrastante davec celle observée en Pologne, et peu évoquée dans les présents reportages, reposerait-elle sur une entente tacite intervenue entre le Vatican et Washington ? Le père Pedro Miguel Lamet, jésuite et historien, rapporte dans son livre biographique « Jean-Paul II, le Pape aux deux visages » (Éditions Golias, 1998, p. 371)) une rencontre entre Jean-Paul II et lhomme de la CIA, Vernon Walters. Ce dernier raconte que « lors de cette rencontre, en date du 30 novembre 1981, ils parcoururent la géopolitique du monde et parlèrent de la théologie de la libération qui se répandait en Amérique centrale. Tous les deux se sont mis daccord pour que les Etats-Unis et le Saint-siège semploient à exercer leur pouvoir afin dempêcher son développement. »
Si une telle alliance savérait fondée elle expliquerait tout autant les silences du Vatican sur les régimes répressifs des militaires en Amérique latine que ses condamnations répétées de la théologie de la libération et de ceux qui sen inspiraient. Bien sur on dira que le Pape a condamné le capitalisme et le communisme et fait appel à plus de justice sociale
. Mais ce quil faut voir ce sont les dispositifs mis en place par lInstitution ecclésiale pour contrer ces injustices et ces excès. Le Pape a condamné le blocus américain maintenu sur Cuba, comme il la fait également pour la guerre en Irak. Cependant dans un cas comme dans lautre lensemble des leviers institutionnels nont pas été mis à contribution comme ils lont été pour lutter contre les meures contraceptives, le mariage des personnes de même sexe et la lutte contre le communisme. Encore tout récemment, au moment où ladministration Bush durcissait ce même blocus, il acceptait du Président américain la médaille de la liberté. De quoi faire réfléchir sur cette liberté partagée par le Vatican.
Au moment où cet homme nous quitte et que les cardinaux sinterrogent sur celui qui lui succèdera, lévocation de ces prises de position contradictoires doit rappeler à tous que la liberté dont jouit le véritable prophète vient de Dieu et quelle fait bien mauvais ménage avec les compromis liés au pouvoir des puissants. Il en va de la crédibilité et de la catholicité même de lÉglise, dans sa mission évangélisatrice et prophétique. Il est important que les pauvres de la terre et toute personne de bonne volonté puissent compter sur une parole et un engagement de lÉglise qui ne soient pas dictés par les puissants de ce monde. La parole de lÉglise doit être une parole signifiante pour tous les peuples de la terre et non pour quelques uns seulement.
Oscar Fortin
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Note : Le lieutenant général Vernon Walters, de la CIA, a eu une longue entrevue avec le pape. Cette entrevue se trouve relatée dans les moindres détails dans le livre de Malinski, C. Berstein et M.Politi, Sumo Pontifice, pp. 334-344 .
« Walters étudie comment le pape peut être utile pour les Etats-Unis et pour lAdministration Reagan, notamment sur les questions concernant lAmérique Centrale, le Proche-Orient, le terrorisme, le contrôle des armes et les affaires liées aux murs dans les affaires publiques. Walters est convaincu que le pape est un excellent conbustible pour les avions américains. »